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Editorial n°262 – Septembre 2014

Consommateur-roi et salarié-robot

Chacun sait pertinemment que les publicitaires connaissent et exploitent les mécanismes psychologiques les plus sournois pour induire des envies qui deviennent instantanément des besoins irrépressibles.

Il s’agit là de principes bien connus même si, hélas, les conséquences sont souvent catastrophiques lorsque ce conditionnement psychique mène à la frustration, à des achats compulsifs, voire à l’addiction.

Ce que certains considèrent comme une véritable manipulation mentale peut amener, à bas bruit, à largement faire infuser dans les esprits de nouvelles conceptions sociétales tout aussi dangereuses.

Deux publicités récentes illustrent ce propos : l’on y voit deux consommateurs confortablement assis dans leur canapé utilisent un site marchand sur une tablette. L’un hésite sur les équipements à choisir pour la révision de sa voiture et l’autre s’interroge sur le lieu de livraison de sa commande.

Conséquences : on voit le mécanicien et le livreur transformés en pantins, gesticulant au gré des changements d’avis du consommateur.

Au delà de l’humour qui peut apparaître au premier plan, l’analyse de la scène est terrifiante à double titre : le consommateur est présenté comme un dieu tout puissant qui manipule des sujets selon son bon plaisir. Les salariés deviennent ainsi des marionnettes, c’est à dire des objets dénués de toute humanité.

A l’évidence, le message est clair : chacun doit devenir un consommateur roi et doit pouvoir acheter n’importe quoi, n’importe comment, au gré de son désir. Le consommateur qui ne pourrait assouvir instantanément sa « fièvre acheteuse » subirait alors une atteinte à ses droits humains fondamentaux…

Dans le même temps et pour atteindre cet objectif, le salarié doit être disponible sans entrave et, évidemment, à moindre coût !

Car dans ce schéma, les horaires de travail des salariés du commerce ou des services doivent impérativement devenir les plus larges possibles : nuit, dimanche et jours fériés, rien ne doit faire obstacle au désir du client-roi… pas même les conditions de vie des salariés concernés !

Cette belle mécanique de conditionnement se heurte néanmoins à un problème majeur : quand et comment le salarié du commerce pourra-t-il, lui, consommer ?

Plus important encore, quel degré de schizophrénie ou de dédoublement de personnalité faut-il mettre en œuvre pour ne pas s’apercevoir que lorsque je me comporte en client-roi, je participe activement à la
création des chaînes qui vont m’être appliquées à moi-même comme salarié ?

Cette analyse peut paraître échevelée mais c’est un nouveau stade franchi dans l’injonction de l’individualisme.

Exiger d’autrui ce que l’on n’accepterait pas pour soi, comme travailler le dimanche, était déjà difficile à concevoir.

Là, c’est un niveau encore supérieur qui est atteint : la toute puissance du consommateur transforme les salariés en robots, les exécutants en objets, leur niant toute humanité.

Peut-on encore avoir envie de consommer n’importe comment et n’importe quand, lorsque l’on entrevoit les enjeux et les conséquences ?

 Olivier CLARHAUT