Editorial n°283 – Décembre 2019
UNE REFORME ? NON, UN CHANGEMENT DE SOCIETE
Après les nombreuses étapes que nous avons connues, la contre-réforme des retraites est désormais dévoilée.
Le Premier Ministre a annoncé les mesures qui ont été décidées et elles sont d’une brutalité confondante. En résumé : travailler plus longtemps pour toucher moins de pension…
Au-delà des détails, le Président de la République l’a annoncé : « il s’agit d’un projet de société ». On ne peut être plus clair !
Pour la retraite comme pour les autres sujets (maladie, chômage), la volonté est de mettre fin aux systèmes de protection sociale collective et à leur gestion paritaire, pour étatiser ces dispositifs et avoir la main sur tous les ajustements qui sembleront nécessaires aux gouvernements futurs, selon le contexte économique ou financier.
Car, ne nous y trompons pas : c’est bien là que se situe le but de la manœuvre. La retraite par points ne répond aucunement à un besoin d’équité ou de justice mais à une nécessité de confier tous les paramètres économiques de la protection sociale au gouvernement qui (comme il l’a déjà fait pour la sécurité sociale puis plus récemment pour le chômage) ajustera le niveau des pensions selon un ensemble de critères opaques qui échapperont à tous…
Si nous laissons faire, ce ne sont pas seulement les régimes spéciaux qui vont disparaître mais bien le régime général et les régimes complémentaires, appelés à être remplacés par un régime unique !
Les régimes spéciaux représentent 3% de la population active et servent évidemment de prétexte fallacieux pour cacher les motivations profondes de ce projet : un véritable hold-up social. Exciter les jalousies pour diviser… un classique !
De façon concrète, le calcul de la pension de retraite ne serait plus fait sur les 25 meilleures années (pour le privé) mais sur l’ensemble de la carrière professionnelle puisqu’il faudra acheter des points au fur et à mesure… Pas besoin d’être agrégé en maths pour comprendre que ceci pénalisera tout le monde, dans tous les cas !
Et que dire de cette trouvaille intitulée la « clause du grand-père » qui voudrait que cette réforme s’applique seulement pour ceux qui entreront dans la vie active. Une double indignité scandaleuse qui consiste à reporter l’effort sur nos enfants et petits-enfants et à saper l’opposition en mettant les salariés actuels à l’abri de la réforme. C’est le principe même qui doit être combattu sans faiblesse, peu importe qui sera directement concerné ou non !
De plus, la loi du marché étant présentée comme la seule qui vaille, la retraite par répartition risque d’être maintenue à un niveau minimal et ceux qui le pourront (?) seront encouragés à se tourner vers la capitalisation, mettant ainsi un terme définitif au caractère collectif et solidaire que nous défendons énergiquement.
Ce modèle de société que nous combattons, c’est (pour faire simple) un modèle à l’anglo-saxonne où l’individu serait renvoyé à son triste sort, rendu responsable de son propre parcours (y compris, la précarité, le chômage et la maladie) et qui échapperait de fait à toute solidarité.
Depuis plusieurs décennies, les pouvoirs successifs (quelle que soit leur couleur, là n’est pas le sujet ici) n’ont eu de cesse de chercher à détruire le contenu du programme du Conseil National de la Résistance, dans son volet social, mis en application en 1946.
Loin d’être dépassé, ce projet intitulé « Les Jours Heureux » n’a jamais été si moderne et si indispensable.
Parmi les dispositions de nature sociale, il appelait à la mise en place « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Tout était dit : une protection sociale solidaire, gérée par les partenaires sociaux et l’Etat. Voilà ce que l’on veut faire disparaitre du paysage alors que la précarité, la pauvreté et les inégalités explosent.
Le sujet est social et non pas politique. C’est pourquoi tout syndicaliste doit regarder le sujet avec attention et vigilance et expliquer les notions fondamentales qui ont été à l’origine de ce que l’on veut détruire et pourquoi sa défense est vitale. C’est ce que fait FO !
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons une mobilisation massive de tous les salariés à partir du 5 décembre. Un échec sur ce sujet et ce sera la société française qui risque de basculer intégralement dans un modèle où seule régnera la loi du marché, c’est-à-dire la loi de la jungle…
Olivier CLARHAUT